Pour pas mal traîner dans des espaces queer ou entre deux mouvements de colère ou de révolte on cherche aussi à prendre soin des autres, j'ai été confrontée plusieurs fois à cette question : est-ce safe ou pas ?


Les espaces queer sont parfois en quête d'une safitude ultime comme une quête de devenir la personne la plus safe et de fuir cette impureté, cette corruption qui nous ferait basculer dans le camp des personnes toxiques.



J'imagine qu'en tant que mouvement révolutionnaire à même de questionner le monde, l'objectif ici c'est de tenter d'établir une nuance claire entre le rôle de victime et le rôle d'oppresseureuse. En gros des personnes sont susceptible, structurellement de blesser d'autres personnes qui sont dans une posture fragilisé, comment empêcher cela ? Une personne a pris l'habitude de taper, l'autre de recevoir les coups, comment mettre fin à cette situation ? En tant que militante si j'ai une éducation qui me pousse à penser que la réponse à ces questions est simple ( et elle l'est effectivement souvent) répondre à ces questions est parfois proche du questionnement philosophique. Et j'ai beau lire et relire mon manuel de la parfaite petite militante, je ne trouve que des réponses simples et binaire à des questionnements compliqués et portés par les changements qui nous animent tou.te.s.





To be or not to be safe ?



Si, présenté comme ça ,ça me paraîtrait assez fun de pouvoir apposer un gros tampon sur les gens avec la mention "safe" ou "pas safe", un peu comme dans une gare de triage. Je réalise bien qu'il y a pas mal de circonstances dans lesquelles cela fonctionnerait assez mal. Je veux dire, il est pour moi évident que le mec qui met des mains au cul en convention, le gros relou qui ne cesse de balancer des blagues pro viol en partie ou la saleté qui ne peux s'empêcher d’énoncer des remarques horribles sur le physique des gens mériteraient un gros tampon rouge en travers de son front. En revanche, je trouverais profondément idiot qu'il en vienne à devoir le porter à vie. Hélas, c'est un peu ce qu'on fait quand on demande si une personne est safe ou pas. On estime qu'une personne serait safe "dans l'absolu" ou serait pas safe "dans l'absolu".


Les personnes safes ça n'existent pas. Il suffit d'observer les relations abusives dans la communauté queer pour s'en rendre compte.



D'une part, car cela voudrait dire avoir une confiance absolu en certaines personnes, alors qu'elles peuvent être susceptible de faire du mal à des gens, et d'autre part car cela voudrait dire condamner des gens qui sont aussi susceptible d'être victime d'oppressions et peuvent donc être aussi parfois avoir besoin d'être défendus. Selon moi, la  vérité derrière tout ça c'est que vu que les gens ont la capacité de se faire du mal, iels auront tendance à le faire s'il n'y a pas de code sociaux, de règles collectives qui les en empêchent.



Créer des espaces safe



Comme j'en ai déjà parlé un peu plus haut, tenter de définir les gens comme safe ou non n'a pas vraiment de sens en soi, voir même cela peut être dangereux. En revanche, je pense sincèrement qu'on peut réaliser ce rêve si on raisonne en terme d'espaces. Comment construire des espaces safe ou les circonstances font que nous somme dans un lieu qui protège un certain type de personnes en particulier ? Plutôt de que de raisonner en terme d'espace safe qui serait safe dans l'absolu et qui sont par définition dangereux, car on ne peut pas de manière efficace accueillir une infinité de souffrances ou de malaises dans un espace fini, on peut tout bêtement réfléchir à la notion de risque. Je veux dire qu'est-ce qui est important ? Pourquoi crée t-on cet espace ? Pourquoi est-ce devenu nécessaire ? Qui cherche t-on à protéger ? Ou plutôt quels types de personnes cherche t-on à protéger en priorité ?



Evaluer le risque dans une zone de jeu



Ce qu'il y a de terrible, c'est qu'on ne peut jamais être sure de personne, pas même de nous même. Au sein même des espace queer les relations abusives, les violences, la manipulation et le rejet sont à chaque détour de couloir. Connaitre l'oppression, connaitre la souffrance ou la violence ne nous empêche pas de l'appliquer à d'autres. D'une part parce qu'on est toujours plus sensible à une souffrance que l'on connait nous même et que l'on appréhende, d'autre part parce qu'étant plus gorgé.e.s de peurs et d'insécurités que beaucoup d'autres, nous courons chaque jour le risque de voir ces peurs ou ces insécurités nous dominer.


On peut imploser même avec des gens bien. La question primordiale c'est souvent trouver les outils de sécurité appropriés aux risques et aux dangers qu'une proposition de jeu ou qu'un public peut soulever.



La première étape pourrait donc être d'apprendre à appréhender des souffrances qui ne sont pas les nôtres. Réfléchir à comment un rapport d'autorité peut se construire, à comment une personne peut se sentir exclue, à  comment on peut la protéger d'injonctions extérieures et aussi et surtout questionner l'impact que l'on peut avoir à long terme sur elle. Je reviens donc à ma question initiale: qu'est-ce qui est important ? Souhaite t-on évacuer les rapports d'autorité de nos parties de jeu ? Souhaite t-on protéger avant tout des personnes qui ont un rapport difficile à leurs corps, aux personnes qui vivent un handicap au quotidien et qui ne souhaitent pas que cela leur soit rappelé encore une fois durant une séance de jeu, souhaite t-on protéger les personnes en carence affective qui ne peuvent raisonnablement pas encaisser des yoyos émotionnels intempestifs ou souhaite t-on protéger des personnes vivant une anxiété sociale et qui aurait besoin de moyens d'interactions spécifiques ? Bref, sincèrement, je pense qu'il faut choisir et prioriser pour être efficace. Lorsque l'on crée une zone de jeu quels sont les risques et le confort de quels personnes souhaitent on favoriser ? Nous vivons tou.te.s dans un monde qui favorise déjà de manière outrancière toujours le même type de personnes. Peut être que le jeu pourrait être un lieu sacré où on accorderait de l’intérêt et de l'attention à d'autres types de personnes ?

La seconde étape serait qu'au sein même des espace safe, on puisse mettre en question en permanence les intentions de celleux qui les animent. Comme nous l'avons vu, personne n'est jamais à l'abri de faire du mal à quelqu'un. De plus, croire de manière absolue en une personne et à sa capacité à assumer un rôle de care lui donne un pouvoir surement trop grand d'une part et ensuite la place dans un statut de personne que l'on place au dessus des autres, voir qu'on idéalise.



Faire chuter nos  idoles


Considérer les tenants de la sécurité émotionnelle par exemple comme des êtres élus à même de nous aider est aussi dangereux qu’idolâtrer une statuette imaginaire. Rien n'est jamais acquis et rien n'est jamais dû.





Quand je pratiquais encore du bdsm, j'avais acquis avec le temps une petite réputation de personne "care" et "safe" tant et si bien que beaucoup de connaissances m'envoyaient des personnes qui avaient été un peu abîmées par des adeptes de la domination imprudents. Ensemble, on révisait une méthodologie plus basé sur le consentement et l’épanouissement personnel, on mettait en place des codes de communications clairs et surtout on se laissait du temps de vide pour encaisser ce qui se passait entre nos séances. Vu comme ça, c'est une très jolie histoire mais le fait est que les gens devenaient systématiquement très accroché à moi, voir amoureux, voir complètement croc love. J'avoue que c'est un aspect des choses que je n'ai jamais su gérer autrement que "je mets une énorme distance dés que je sens que ça part trop loin".

Avoir des référent.e.s pour les espaces care est important et essentiel. Mais c'est s'exposer à des dangers bien grand que de ne jamais pouvoir remettre en cause la manière qu'iels ont d'exercer leurs rôles. Et c'est aussi placer sur leurs épaules un poids extrêmement lourd. Surement que l'on doit arrêter de croire en ces idoles de pierres et commencer à comprendre que la responsabilité de ces espaces est collective. Et que tout fonctionnera surement mieux si leur efficacité est basé sur des règles collectives qui s'appliquent à tou.te.s  que sur tel mj qui aurait un degré de safe de 80%, de tel table de jeu avec qui "en temps normal" il n'y a de jamais de soucis ou tel orga de grandeur nature qui est "une perle" tu peux y aller à l'aveugle.



En conclusion



Des lieux safe comme les personnes safe n'existent pas. C'est triste, c'est dur à entendre mais on devrait nous le dire dés le début, au lieu de nous laisser interagir avec des lieux et des gens en baissant notre garde et en devant encaisser les coups. Personne n'est en mesure de dire si quelque chose est safe ou pas pour nous sans s'être interrogé auparavant sur nos fragilités et nos inquiétudes.

C'est aussi pour cela qu'un.e orga de grandeur de nature ou de murder party, qu'un gamedesigner de jeu de rôle papier, que des orgas de conventions ou des bloggers théoriques sur le jeu ont une responsabilité très importante. Iels ont la responsabilité d'accueillir "cet autre" qu'iels ne connaissent pas et donc d'interroger le monde autour d'elleux. Se contenter de plancher sur son projet dans son coin est irresponsable car on participe à nier l'existence de ce qu'on ignore ou que l'on estime peu digne d’intérêt. Et ces espaces ne pourront véritablement émerger que s'il y a une volonté collective de leur donner de la valeur et de l'importance. Que si les personnes à même d'influencer un média, expriment le souhait de vouloir jouer avec les maladroites et les rêveuses, avec les élocutions vacillantes et les écritures laborieuses. Qu'une volonté forte et puissante exprime l'envie de créer des dispositifs de jeux qui ne valorisent plus sempiternellement les même personnes. Pour que les gens qui sont souvent timide en bout de table puissent apporter un bout de leur monde et le partager avec les autres. Les cultures queer sont des cultures à part, née de la rébellion et de l'expérience de la marginalité. C'est accepter et revendiquer ce qui provoque souvent dégoûts et rejets. C'est accepter de prendre part à la révolte, en intégrant cette contre culture dans notre récit du monde. Bref créer des espaces safe, c'est prendre cet air bravache face à nos habitudes de jeux et juste dire "non".