Tout le monde sont rolistes

Tout le monde sont rolistes

Podcast sur le jjeu de rôle avec une optique queer et militante

Arjuna Khan

Podcast qui parle de jeu de rôle, souvent sous un angle queer et militant, et qui a pour volonté de pousser les murs en terme de réflexion et de sujets abordés. Qu'est ce qu'un jeu ? Que peut-on et qu'est-on en droit de raconter avec ce média ? Comment accorder réflexions militantes et pratiques de jeu ? Comment éventuellement éclater des modèles normatifs dans nos manières de jouer ou simplement les questionner ? Que dire des représentations queer en jeu de rôles ou de nos aptitudes à la rébellion voir au contenu politique qui peut être appréhendé derrière ? Ce blog propose de brasser large autour de ces thématiques en se réservant des angles d'approches parfois originaux.

En cours de lecture

Et sinon passez une trés belle journée

J'ai mis du temps avant de reprendre la plume. Je pense  qu'avec le temps j'étais devenu assez aigrie et que j'avais besoin de temps pour moi. Pour  faire le point et contempler le chemin que j'avais parcouru.C'est bête à dire et c'est un poncif mais je crois que toute ma vie ce sont les autres qui ont décidé à ma place. C'étais douloureux, c'étais violent mais cela ne nécessitais pas d'effort particuliers. En tant que personne avec des attraits masochiste fort, c'est un piège dans lequel je tombe souvent.



On ressent des choses fortes et ça nous occupe l'esprit. Ça nous protège de l'ennui et de l'oubli qui contamine. Mais ça ne pouvais pas durer éternellement, on peut pas se consumer comme ça sans fin. Un moment y'a plus de combustible et je crois que suis à court de combustible.



Je me noie dans notre petit milieu, j'y étouffe, j'y agonise. J'ai le sentiment de me retrouver dans cette même petite ville qui m'a vu grandir à alterner entre l’épicerie et le presbytère. Et surtout je n'ai plus de combustible. Ça fait un moment que je roule sur la réserve et j'ai à peine de quoi aller jusqu'à la prochaine station. Il me reste quelques sous en poche, peut être que j'aurais assez pour rejoindre une grande ville ou un dépotoir à investir.



J'ai bien aimé cette aventure. Le jeu de rôle sur table m'a permis de rencontrer plein de gens quand les interactions sociales sont souvent un truc un peu étrange pour moi. Je suis tombé amoureuse aussi, j'ai vécu des histoire chouettes et ressenti des trucs cool. J'ai aimé la capacité de notre milieu à se rebeller contre sa propre culture hélas trop souvent viriliste ou orientée vers des dynamiques compétitive. J'ai aimé la solidarité qui s'est instauré parfois contre l'homophobie, la transphobie, la grossophobie ou le validisme qui hante encore trop souvent les couloirs de nos conventions. J'ai aimé ce bouillonnement créatif et la prolifération d'outils pour prendre soin des gens même si on fait des yeux de méchants derrière nos paravents.



Hélas comme je disais je suis fatiguée. Je ne me sens pas, je ne me sens plus la force de continuer. Et je sens que j'ai besoin d'autre chose, d'autres territoires. Je ne crois plus assez en notre média, je ne crois plus assez en nos communautés et je pense qu'arrêter est la meilleure voie.



Je continuerais à faire des gn néanmoins car c'est un support en lequel je crois toujours et qui est aussi pour moi moins énergivore en terme d'investissement. Le temps qu'on y consacre y est plus ponctuel et ce qu'on nous y demande me semble moins exigeant.



Avant de repartir et même si je n'aime pas le name dropping je tiens quand même à remercier quelques personnes.



Déjà je remercie tous les intervenant.e.s à mes podcasts qui ont pris du temps et de l’énergie pour exprimer des choses quand à leur expériences. Leur retours ont été précieux.

Je remercie aussi les courants alternatifs qui ont été un lieu d'épanouissement pour moi et si je garde quelques amertumes de nos derniers échanges je leur souhaite plein de bonnes choses pour l'avenir.

Je tiens aussi à saluer le travail de lapin marteau qui même si j'ai parfois critiqué le manque de gouaille sur certains sujets a fait beaucoup pour amener des sujets lié au féminisme et à la culture queer dans certaines de leurs démarches.

Je tiens à remercier la queervention qui a cassé quelques murs et taillé des ouvertures dans des murailles épaisse et froide.

Je remercie aussi tous les mecs cisgenre, hétérosexuelle, blanc, valide qui ont su se taire pour nous laisser de la place et savoir nous porter assistance quand le besoin s'en faisais sentir.

Je remercie enfin tou.te.s celleux qui à leur table de jeux ont essayé d'amener des personnages issues des minorités avec une histoire intéressante à raconter. Ou les mis.e.s de coté ont enfin une place et ont pu émettre un discours qu'iels ne pouvaient pas émettre en général.



Ah et sinon passez une très belle journée.


En cours de lecture

Maturité et jeux de rôles ou quatre lettre d'amour face au néant





"Jouer mature", "Jouer adulte", "Jouer dur", "Un jeu pas pour les fillettes", "C'est pas un jeu de tantouse", "C'est un jeu de bonhomme", voilà le genre d'idioties que l'on peut entendre encore souvent lorsque l'on parle de certains jeux aux thématiques délicates à aborder. Mais au-delà de ces remarques oppressives qui ne sont que la marque d'égos fragiles n'ayant trouvé que l'insulte comme réponse, je trouve que cela pointe en sous-texte quelque chose d'intéressant. Qu'est ce qui fait qu'un jeu peut être considéré comme “adulte” ou “mature” ? Morts, spectacles sanglants, partie génitales visibles, viols, meurtres, excréments et autres démembrements de tous poils ?



J'ai parfois le sentiment que le jeu de rôle sur table s'est mis en quête de ce jeu mature avec la rage d'un pré-adolescent en pleine crise identitaire. Mais quelque part si thématiques dures et difficiles étaient bien présentes, la manière de les traiter semblait assez obscure. Quels discours derrière les représentations misogynes d'un Bloodlust ? Quelles explications derrière les évocations traumatiques d'un Kult ? Combien de viols utilisés comme ressort narratif quelconque ? Combien de scènes de tortures posées là pour faire joli et "mettre dans l'ambiance" ?

Au final c'est quoi grandir ? C'est quoi jouer aux jeux des grands ? A quoi ça peut ressembler ? Et qu'est que ça change ?





Je me demande parfois en contemplant tout ça s'il n'y a pas là une envie très enfantine de jouer avec les affaires des grandes personnes sans forcément chercher à les comprendre. Un peu comme ces cohortes de mecs cisgenres qui multiplient les allusions sexuelles avec un œil rieur mais auront vite fait de se taire si on se met à les questionner avec sérieux sur leur sexualité réelle dans tout ce qu'elle peut comporter d'imperfections. Bref, on joue au grand en se cachant en secret pour aller regarder à la nuit tombante le film d'horreur qui n'est pas de notre âge ou le porno réservé aux adultes. Pourtant est-on à même de pouvoir recevoir ces œuvres et de les comprendre ? Eh bien pas forcément. Que serait donc un jeu de rôle mâture ? Un jeu qui porte un véritable discours sur les thématiques qu'il aborde ? Un jeu qui ne se contente pas de fantasmer ces thématiques mais cherche aussi à les rattacher au réel, à la vie quotidienne de ses personnages, au sentiment d'ordinaire ? Pour réfléchir à cela, j'avais envie de vous partager quatre déclarations d'amour, peut être parce que les déclarations d'amour publiques se font rares et qu'on a sûrement besoin de choses rares. J'ai tendance à penser que s’intéresser à la rareté nous change et nous transforme et que c'est une expérience que l'on devait tenter plus souvent. Pour tenter de répondre à mes questionnements, j’ai donc opté pour quatre jeux Grandeur Nature expérimentaux qui me semblent donner de bonnes pistes sur comment des thématiques difficiles peuvent être abordées.



La cigarette d’après l'amour



Ce jeu très atypique réussit l'exploit de parler de nudité sans jamais montrer de partie génitale de manière explicite (comme quoi tout est possible dans la vie). Comme j'ai déjà eu l'occasion d'en parler en podcast, le jeu, au lieu de parler de sexe en le mettant en scène directement propose plutôt de s'attarder sur "le moment d’après". Ce qui est intéressant dans l'approche c'est le refus de fixer l'imaginaire par une explicitation de ce que le sexe est ou n'est pas. Ici on est face à un jeu qui parle de fantasme, qui parle du désir qu’on a de l’autre et des projections qu’on y fait mais aussi ce que l’on tente de transmettre à l’autre et ce qu’on tente de lui cacher. Du coup, offrir une vision volontairement souple du sexe est une approche plutôt propice à ce qu’offre le jeu.

Nos personnages viennent de vivre un moment de sexualité avec tout ce que le terme peut évoquer en terme d'intensité émotionnelle ou de trouble sensoriel. Pourtant rien n'est détaillé ni explicité et cet inconnu que vivent les joueuses crée une gêne assez élégante qui n'est pas sans rappeler cette gêne du "moment d’après" justement. Le jeu fait donc l’impasse sur l’aspect explicite du sexe pour s’attarder, via une conversation entre les personnages, sur le sens d’une partie de jambe en l’air, sur qui on est dans ces instants-là et sur ce qu’on révèle de nous même dans ce contact de chair et de fluides.

Plus que parler de fantasme, il cherche aussi à le déconstruire ou en tout cas à tellement le décrire qu’il en perd de sa magie. Ce qui est très intéressant pour un jeu évoquant la nudité. Ce jeu est clairement connu et reconnu comme étant un jeu où on nous invite à jouer nu pourtant la nudité est parfois plus présente dans ce que l'on fantasme de l'autre et ce que l'on cache de nous même. C'est principalement ce que le jeu nous invite à explorer et c'est en ça que je l'aime. Il aurait pu nous parler de sexe en surenchérissant sur le fantasme comme beaucoup le font. En proposant une belle image sans rien questionner, en continuant à caresser sans cesse les fantasmes des autres sans jamais interroger les siens. Ici au contraire, en s'attardant sur ces éléments de gêne et sur ce qui se cache derrière nos enthousiasmes et notre assurance,il accepte la notion de fragilité. Et accepter le fait qu'on est au final jamais bien sur.e de ce qu'on fait, qu'on est fragile, qu'on a peur, qu'on rêve, qu'on espère, qu'on doute c'est un sacré premier pas pour remettre en question le virilisme de nos milieux et les représentations si ce n'est misogyne en tout cas très stéréotypé dans les rapports de genres. On peut être autre chose que des rapports de forces, on peut rêver d'autres sexualités que ce que nous proposent les usines à fantasmes et j'aime La Cigarette après l'amour pour me l'avoir rappelé.



Island in a sea of solitude



Ce jeu en quelques pages de P.H Lee propose ni plus ni moins que d'explorer le deuil ou plutôt le silence assourdissant qui accompagne souvent la disparition d'un proche. Ici pas de détails glauques ni de description morbide mais plutôt une pression qui est posée très vite sur les joueuses. Une personne proche de l'un des personnages est morte brutalement et la possibilité lui est laissée de lui parler une dernière fois durant trente minutes via un logiciel de communication en ligne. La dite personne n'a qu'une conscience extrêmement vague de qui elle est, où elle se trouve mais quelques souvenirs ou événements restent marqués fort en elle et forge l'échange. La personne décédée n'aura donc pas les éléments pour répondre aux grandes questions que peut se poser l'endeuillé.e mais dans tous les cas trente minutes sont un délai tellement court qu'il y a peu de chances que l'on s'y risque. On est alors tenté d'explorer avec ce fantôme de quelques instants l’anecdotique qu’on a pu partager ensemble, la tendresse de la vie quotidienne ou ces boules de stress, d'enthousiasme ou de peur qui ont autrefois tissé notre relation. Ce que je trouve brillant dans ce jeu c'est sa capacité à créer de la tension autour du thème de la mort qui est peut-être l'un des thèmes les plus surexploités de toute l'histoire de la fiction. En fait il remet de la gravité dans le thème. Il en remet en s'attardant sur pourquoi la mort est un élément fondamentalement dramatique et pas un ressort narratif lambda pour enchaîner des scènes et poser des situations tendues que l'on devra résoudre.

Et si parler de solitude, parler de l'agonie de la non présence de l'autre était le sel qui manquait à ces scènes d'horreurs impersonnelles ? Et si ces scènes orgiaques d'imageries gore et/ou sexuelles manquaient juste un peu d'âme ?



Dans Island in a sea of solitude on parle de ce que ça fait de ne plus sentir la chaleur de la personne que l'on aime, de ne plus être rassuré.e par le son de sa voix lorsque l'on entend, de ne plus pouvoir se mettre en colère contre elle ou pleurer sur son épaule. On parle de manque, de solitude et du poids inéluctable de la fin. Quoiqu'il arrive, le mouvement des choses finit par s'arrêter un jour et en soi il n'y a jamais vraiment de réponse satisfaisante. Le jeu, tout en allant à cent à l’heure, prend le temps de s'attarder sur les détails de l'existence, sur les milles saveurs que l'on côtoie et de pourquoi il y a quelque chose de terrible qui se passe quand cela vient à se ternir. Il essaye de se concentrer sur la nature réelle de nos regrets et qui donne tout son sens tragique à l’idée de mort. J'aime ce jeu car il remet en lumière le fait que les choses peuvent parfois être graves et dramatiques. Que donner de l'importance à nos rituels comme les processus de deuils, d'amour, de réussite ou de changement est important et raconte au final des histoires beaucoup plus denses que n'importe quelle imagerie gore ou autres empilements de cadavres.



Childfree



Jeu à l'heure actuelle uniquement disponible en anglais,qu'on pourrait sûrement classer dans la catégorie "jeu militant" car il propose de réfléchir à un sujet de société en nous donnant quelques clés pour l'aborder. L'auteur.e nous transmet ses connaissances, son vécu et ses réflexions sur un sujet. Elles sont par essence subjectives, ça tombe sous le sens, mais elles restent riches et étayées. Le jeu nous propose de parler de choix, du choix de pouvoir avorter ou non quand la question se pose. Des mille pensées qui nous assaillent dans ces instants là ainsi que des mille voix qui tentent de pénétrer notre esprit dans ces moments là. C'est un jeu qui parle de comment prendre les rênes de sa propre vie, en se donnant le droit de choisir les voix que l'on va écouter et celle qu'on préfère taire.

Ce que j'ai vu de nouveau dans ce jeu et qui m'a beaucoup émue et nourrie c'est le fait d'avoir une réflexion militante sur un sujet qui remplace les descriptions de background qui servent de base à beaucoup de jeux. Le discours militant, le savoir militant sert d'historique au jeu et va nous donner plein d'outils pour aborder un sujet dont la plupart des gens ne connaissent au final pas grand chose. L’auteur, en nous partageant sa propre expérience et ses réflexions, cherche visiblement à briser quelques lieux commun sur le fait de tomber enceint.e ou sur l’acte d’avorter par exemple.Non l’avortement n’est pas par essence traumatique, non le fait de tomber enceint.e n’est pas directement corrélé à l’idée de maternité, non ce ne sont pas forcément des femmes qui accouchent… En quelque sorte on introduit une histoire des luttes pour amener les joueureuses à vouloir se battre pour quelque chose qui leur serait lointain ou étranger. Le jeu nous proposant de faire acte d'empathie avec les batailles des petit.e.s et des mis.e.s de côtés pour peut être d'essayer de réinventer ces chants guerriers et ces confrontations sanguinolentes qui sont devenus un poncif pour bien des pratiquant.e.s de jeux de rôle. Une bataille c'est pas juste des orcs et des gobelins, c'est aussi être en lutte contre le monde et son arbitraire, c'est aussi être en colère de se voir imposer ses choix par d'autres. L'idée que je trouve vraiment intéressante derrière tout ça c'est que cela montre qu'il ,’y a pas de connaissances qui n'ont pas de valeur. Les connaissances de la petite noblesse au XIV siècle ne sont pas plus valables pour faire ressentir une ambiance que ce que notre propre vécu de l'homophobie nous a fait ressentir. Notre capacité à survivre malgré nos phobies sociales n'est pas moins intéressant pour apporter des mystères enthousiasmants que la maîtrise de l'alphabet elfique. Nos connaissances des contes et légende de la vieille Europe, aussi fascinant que cela puisse être, n'est pas plus efficace pour raconter une histoire que notre expérience à créer ou inventer des systèmes plus solidaires pour vivre ensemble. Notre aptitude à lutter contre le monde et à affirmer notre identité est aussi une richesse pour raconter des histoires, pour partager un univers ou pour poser des personnages intéressant. Incontestablement cela nous change des auteur.e.s qui nous propose de jouer des marginaux depuis leur canapé en se contentant d'accumuler des clichés au kilomètre sans jamais les questionner ni tenter de leur donner du sens.

Childfree tente de transmettre un vécu et de partager une expérience d'un.e concerné.e vers le monde. Et pour une fois on n'y vois pas une énième tentative d'apporter un exotisme malvenu en jouant avec le vécu de celleux qui s'en prennent plein la gueule. Non ici on essaie d'apporter de la profondeur et du réalisme en abordant une réalité comme multiple et complexe. Childfree n'est pas un délire de plus d'un mec blanc cisgenre hétérosexuel qui juge le monde en le broyant dans ses fantasmes étroits, Childfree est un jeu indocile et je l'en remercie pour cela.



Le Destin de Juliette



Incontestablement Le Destin de Juliette est un jeu étrange et exigeant. Étrange par son format car il prend la forme d'instructions de jeu et de mise en scène donné à une troupe de comédien.ne.s, et exigeant car un peu comme cette troupe qui va devoir s'approprier un texte et en faire quelque chose nous allons devoir trouver quoi jouer dans tout cela. Combler les manques du texte, tenter d'en comprendre les intentions et malgré des éléments de cadre parfois assez présents trouver des zones de jeux à explorer quand tout pourrait être prévisible et attendu. Ce qui m'a percuté dans ce texte, plus que dans beaucoup d'autres, c'est sa capacité à parler d'histoires d'amours, de sexe et de désirs sous un angle qui essaye d'être lucide sur les rapports de force inhérents aux relations entre les gens. Et à l'époque de #meetoo où la violence et les rapports de domination de certains réalisateurs ressortent de plus belle, voir ça dans un jeu, qui s'attarde sur l'histoire d'une pièce de théâtre, d'une mise en scène et de comment les gens la vivent, je trouve que le jeu comble un manque réel dans notre rapport à la fiction.


A une heure où l'on est dans une culture permanente de l’obéissance. Ou l'on se soumet sans sourciller au jeu et à ses règles. Il est intéressant de voir des démarches qui cherchent à les subvertir ou en tout cas à nous mettre dans des carcans tels que cela nous pousse à nous rebeller.





Quelque part, tout dans ce jeu ne parle que de domination et de désir. En premier lieu, pour jouer, l'une des joueuses prendra la posture de joueuse metteuse en scène qui aura le pouvoir non seulement d'introduire une scène mais aussi et surtout de décider quand elle se termine. Sans sa décision pas de fin, pas de calme, pas de repos. On pourra certes décider de quitter une scène, certain.e.s pourrait dire la fuir, mais c'est la joueuse metteuse en scène qui en actera la fin et ainsi faisant lui en donnera tout son sens. En second lieu, le rapport de domination entre l'acteur principal de la pièce et le metteur en scène qui influence d'ailleurs beaucoup le jeu des autres. Enfin en dernier lieu, nous sommes soumises au texte du jeu, des scènes telles qu'elles sont censées se dérouler et des sentiments des personnages tels qu'ils sont censés émerger. Bref, à tout instant, nous sommes enserrés dans ce carcan de jeux de domination imbriqués, entre script et improvisation, entre la soumission fascinante que nous vivons à ressentir un destin dont nous ne connaissons rien et notre envie de liberté et d’émancipation.

Ce qu'il y a de potentiellement assez extraordinaire dans ce jeu, c'est sa capacité à nous étouffer dans une maille de contraintes tellement fortes que nous sommes naturellement poussés à questionner notre envie de rébellion. Rébellion contre les autres personnages, contre certains dispositifs de jeux qui peuvent nous sembler intenables et enfin contre son auteur lui même qui comble de l'ironie nous invite à trahir ses propres règles. Comme si en bon docteur Frankenstein il avait pris conscience de la créature qui lui échappait.

Ce que j'aime profondément dans ce jeu, c'est son aptitude à nous montrer qu'il n'y a pas besoin de magie horrible ou de grands élans mystiques pour parler de possession, de perte de soi même, de domination mentale ou de confusion de réalité. Il y a déjà tout cela dans les mensonges que l'on se raconte ou les désirs que l'on s'invente. C'est déjà présent quand on gomme son identité pour le plaisir de l'autre ou que l'on sacrifie sa santé physique et mentale sur l'autel de son ego. Les enjeux de la prestation scénique rejoignant celle de la vie : plaire aux autres, plaire à soi et à quel prix ? Les rapports entre les gens sont déjà assez porteurs de choses obscures et fascinantes. Et avant même de pouvoir explorer les mille illustrations du glauque, arriver à comprendre cela et à le mettre en scène est sûrement un pré-requis essentiel. Qui fera qu’une scène d’horreur par exemple sera racoleuse ou nuancée, irrespectueuse ou recherchée. Et qui nous fera sûrement davantage réfléchir à la pertinence de la présence de l’horreur, du gore, des violences sexuelles ou du jeu avec les traumas de nos personnages. Car en amont on aura exprimé de la tendresse pour nos personnages en essayant de mieux les comprendre.



En conclusion



Ce que je voulais amener comme idée, à une époque ou le milieu du jdr sur table notamment glorifie ses gloires passées via moultes rééditions de vieux jeux, c'est que notre rapport à la fiction a changé, voire a mûri. Les années 90 telles que je les ai connues se reposaient massivement sur des fictions passablement misogynes, homophobes, transphobes, racistes, putophobes, grossophobes... Et alors que les rééditions se multiplient, nous pouvons et devons décider de comment nous allons traiter les choses désormais. Que nous le voulions ou non,notre rapport à la fiction a grandi, dans le sens où une bataille culturelle a été mené pour qu’on se pose davantage de questions sur notre manière de traiter une histoire. Enchaîner les propos oppressifs car “lol cette personne n’est pas comme moi, je vais m’en moquer” ou “un plan nichon n’a jamais tué personne” n’est aujourd’hui plus possible. Car, un peu à l’image des jeux que j’ai tenté de vous présenter, derrière chaque personnage il y a une idée, derrière chaque scène il y a un jeu d’influence qui se noue entre un.e auteur.e et un public.

Chaque blague, chaque archétype de jeu, chaque modèle positif ou négatif contribuera à créer une atmosphère où les personnes exclues ou violentées continueront à l'être ou cesseront de l'être. Où le soin de l'autre, l'attention de l'autre aura de l’importance ou n'en aura pas. Horreur, humour et sexualité sont loin d'être des thématiques anodines et chaque fois qu'on y fait appel on devrait sûrement davantage se soucier des conséquences de ce qu'on écrit ou ce que l'on n'écrit pas, de ce que l'on choisit de transmettre ou non. Nous pouvons bien sûr choisir de nous moquer de l’impact qu’ont nos histoires sur notre environnement et se réfugier derrière les genres narratifs que nous émulons et par là même choisir de valoriser les violences et les atmosphères malsains qui étaient jadis valorisés. Ou bien nous pouvons choisir de les combattre, choisir d’accepter une complexité qui jusqu’alors nous effrayait...





Illustration : Mysticisme-et-bourgeoisie-©-Loïc-Mazalrey






















En cours de lecture

Podcast FT N°7 : Tradition orale et jeux de rôles


Ecouter le podcast

Septième numéro du podcast "Featuring" où on planche sur le concept tradition orale en jeu de rôle. Le jeu de rôle peut-il encore se revendiquer de la tradition orale quand le jeu de rôle papier notamment a un recours à l'écrit aussi incontournable ? L'écrit est-il plus équitable qu'une transmission orale par définition plus restrictive ? Quels sont aujourd'hui les vecteurs de transmission orale et qu'ont-il à nous apporter ? 

Quelques références en vrac qu'on a pu citer ou non dans le podcast :


JDR/GN/MURDER

La vie de l'absent de Tiramisu
Le destin de juliette


INTERVENTION DE LA SCENE ROLITICO-GN

Table de mixage du gn
Page wikipedia du Kamishibai


MAIS AUSSI...

Critique de durendal de Jupiter Ascending
"Ils ne savent pas ce qu'ils font" de michel beaujour
Les écritures du plateaux
Aristote ou le vampire du théâtre occidental



Illustration : Der Erzahler Par Georg Bergmann
Générique : Onsind-Heterosexuality is a construct

En cours de lecture

Podcast EDT n°5 : Edward Bond face à inflorenza




Ecouter le podcast

Cinquième numéro du podcast "En demi-teinte" où on parle de fictions politiques, étranges et lyriques. Pour l'exemple, on s'attarde sur une série théâtrale d'Edward Bond et on tente de la confronter à un jeu de rôles à l'esthétique assez proche : inflorenza. Pour ce podcast, je suis accompagnée de felondra qui a plus l'habitude des planches que moi et qui pourra nous éclairer de ses lumières.
En cours de lecture

Jouer des marginaux : la figure de la putain ou l'allégorie du miroir




Jouer des personnes marginalisées, on peut se demander si ce n'est pas devenu un classique. Que ce soit en jeu de rôle ou dans les autres médias pouvant évoquer la notion de fiction ou de représentation, ce sont des types personnages que l'on retrouve souvent. Peut être car il est plus facile de s'identifier à un personnage différent ou atypique ou peut être parce que nous sommes nombreuses à avoir expérimenté l'exclusion et qu'il nous est plus facile de ressentir de l'empathie pour ce genre de personnage. Pourtant, le plus souvent, le récit ne s'axe pas tant autour de l'expérience de la marginalité que de la façon dont une personne marginalisée va trouver sa place et quitter ce statut d'exclu·e ou de paria.




POUR COMMENCER...


Je trouvais intéressant de pouvoir commencer avec la figure de la putain. Déjà, peut être, car c'est l'un des archétypes qui est le plus soumis aux clichés et aux raccourcis. Mais aussi car c'est l'un des archétypes dans lequel je me retrouve personnellement, ayant eu dans ma vie la nécessité de porter ses habits et d'intégrer sa peau.
Dans cet article, je dirais plutôt la putain car je préfère utiliser le féminin pour parler de ce genre de chose. Non pas que la prostitution masculine n'existe pas, je me bats d'ailleurs souvent pour qu'on reconnaisse son existence. Mais parce que j'ai l'intuition, de par mon expérience, et de par les témoignages qu’on a pu me partager, qu'il y a souvent quelque chose de très féminin dans ce qu'on fétichise ou ce qu'on fantasme chez les putains. Parce que c'est cela qui génère le désir et l'envie chez un client : l'appropriation du féminin ou en tout cas de quelque chose qui ne serait pas "apte" ou "conforme" au masculin ce qui revient sensiblement au même.
Le miroir.  Car souvent un peu comme lui justement, nous sommes là pour rester silencieuse et renvoyer une image agréable.

Trop souvent, on aborde les putains comme des choses fragiles en quête de rédemption qu’il faudrait tirer de leurs situations. Ou des créatures à même de pervertir ou subvertir d'autres personnages car elles auraient quelque chose d’intrinsèquement mauvais ou d'inadéquat aux sociétés humaines. Il pourrait être plus intéressant d'aborder la putain pour ce qu'elle est dans son intimité et sa vie quotidienne et non juste de comment elle peut être perçue.




GOMMER SA PROPRE HISTOIRE


Je vois beaucoup de similitude entre la manière que l'on a de considérer les putains et les miroirs. C'est pour moi l'un des aspects les plus intéressants quand on parle de jouer des putains ou d'écrire sur elles : jouer sur le trouble identitaire qu'on peut vivre ou ressentir. Vu que nous sommes là pour faire briller les autres, pour gonfler leurs egos, pour faire résonner leurs histoires, le mieux est souvent de gommer nos propres histoires qui pourraient faire tâche au milieu de ce tableau magnifique que l'on cherche à peindre. Jouer à la putain, faire la putain, c'est bien souvent non pas être jolie ou avoir un beau corps mais se rendre désirable en racontant une histoire où l'on est désirable et où l’autre est une personne de valeur, voire extraordinaire.

Dire adieu à ses hésitations et ses brûlures pour embrasser le fantasme de l'autre. Un fantasme n'hésite pas, ne rêve pas.Non il incarne le rêve.

Donner envie à quelqu'un d'avoir un échange à caractère sexuel avec nous, c'est le convaincre qu'il est le personnage principal de l'histoire que l'on est en train de se raconter. A ce titre, et dans ma connaissance personnelle du métier bien sûr, les putains seraient plus des conteuses tricotant sur le même fil une variété infinie d'histoires que des super héroïnes avec un corps de rêve et une âme d’albâtre. Pour moi, jouer une putain,c'est avant tout faire le récit de l'absence de soi et la présence de l'autre. J'ai le sentiment que quand on fait la pute, quand on joue à ce jeu, on ne le fait pas car des gens ont l'envie soudaine de venir nous baiser mais parce qu'on est devenue la goutte de fascination qui rend leur existence plus supportable et leur quotidien moins fade et ordinaire


JOUER LE TROUBLE ENTRE LE SOI ET LE PARAÎTRE


Projeter un fantasme, qui plus est lorsque l'on utilise son propre corps pour le faire, a vite fait je pense de semer le trouble en nous. Je dirais que quand on vend son cul, on perd souvent un peu de sa substance sans forcément s'en rendre compte. Qu'il y a quelque chose de nous qu'on laisse dans cet enchevêtrement de corps et de pensées. A jouer à être cette personne fascinante et extraordinaire, qui par exemple a une vie follement intéressante faite d'amant.e.s exceptionnel.le.s, de soirées à n'en plus finir, de voyages lointains ou d’expérimentations diverses et variées, on finit par se perdre je pense dans notre propre nous-même.
Comment croire en nous-même quand on côtoie quotidiennement ce visage parfait que tout le monde désire ? Que tout le monde veut posséder ? Ce visage qui appelle un désir insatiable ? C'était inévitable qu'on finisse par en devenir jalouse. Terriblement jalouse... Nous avec nos boutons, notre peau imparfaite, nos désirs bafouillants et notre manque d'assurance. Côtoyer ainsi une créature de mythe peut vite dégénérer. Alors on fait la  bêtise à ne pas faire : on franchit la ligne.On commence à se réfugier de plus en plus dans ce rôle, et on délaisse le nous initial. On oublie la fragilité,on oublie l’hésitation, on oublie la tristesse, on oublie la joie, on oublie l’enthousiasme et le désespoir. Bref on commence à se noyer et à se laisser dévorer par notre propre fantasme. Nous n'en sommes plus la maîtresse. Nous sommes la créature chétive qu'elle tient en laisse.

Jouer à projeter son reflet sans cesse sur les autres, c'est parfois devoir accepter de ne plus savoir qui on est,de ne plus savoir à qui l'on ressemble...



Et cette sombre destinée,quelque part, et bien c'est un peu comme un couperet qui menace de s'abattre à chaque instant. Et c'est l'une des choses qui je pense est capitale dans le récit d'une putain : sa difficulté à tracer une ligne entre le fantasme qu'elle  tisse et elle-même. Arriver à s’apprécier dans ses instants d’ordinaire et d’anecdotique : souffler car on doit faire un énième lavement anal et qu’on est pas dans le groove, se féliciter d’un make-up fait à l’arrache, avoir refusé le mauvais client ou accepté le bon, s’amuser à jouer à la psy, se dire qu’on a vraiment pas envie today ou encore se réjouir d’une passe plus généreuse que prévu. Bref apprendre à s’apprécier sur scène et en coulisse, c’est ça que j’aimerais voir jouer.




HIÉRARCHIES SOCIALES ET JUGEMENT DE VALEURS


S’il peut être grisant de jouer la pianiste avec le corps d’autrui, qui plus est à sa demande ; s’il peut être épanouissant de l’entendre résonner et voir que l’on a su sortir la note juste inaccessible à tant d’autres ; si l’euphorie a vite fait de venir lorsque l’on gagne en une heure ou deux plusieurs jours de salaires, il est parfois difficile de pouvoir profiter de cette sensation de bien-être quand juste les choses se sont bien passées ou que l’on est satisfaite de l'échange. Car avant même qu’on se pose la question de comment on se sent rapport à tout ça, c’est à dire ce qui nous épanouit, nous fait peur ou nous fait réfléchir dans notre taff, le monde, lui, s’est déjà fait un avis. Si émotionnellement c’est assez perturbant et difficile à absorber, narrativement je pense qu’on tient quelque chose d’intéressant, pour ne pas dire d’important à raconter.


Etre une putain c'est aussi devoir accepter qu'on juge notre travail plus qu'on ne le fera avec n''importe qui d'autre. C'est devoir gérer les avis, les humeurs, les jugements et tout ça gratuitement bien sur. 

Par exemple est-ce que la vie de putain est difficile ? Ou est-ce que la vie de putain est épanouissante ? Ce sont des questions potentiellement fertiles mais là n’est pas mon propos. Mon interrogation tient plutôt dans le fait que se poser ce genre de questions est devenu atrocement compliqué. Car dealer son cul au plus offrant n’est apparemment pas anodin pour la société (contrairement au commerce de rutabaga par exemple). A tel point que législateurs, policiers, personnel de santé, associations, politiques et même clients potentiels se bousculent au portillon pour donner leur avis sur le sujet. Mais de ce brouhaha, de ce tumulte n’émergent que difficilement la voix  d’une putain qui même si elle lève la main pour demander la parole a certaines difficultés à attirer l’attention. Comme si dès que l’on se rhabillait, on cessait d’être digne d'intérêt. Comme si on devait retourner s'asseoir à la table des enfants. Rester sage et laissez les grands faire, les laisser choisir pour nous.

J’en viens à mon point : je pense que jouer ce tumulte c’est aussi jouer quelque chose de beau et de magnifique et qu’on devrait s’y attarder plus souvent. Ce qui pourrait être turbo cool c’est de jouer la difficulté des putains à se définir, à faire des choix, à émettre des jugements sur elles-mêmes et leur taff en essayant de se battre contre ces voix qui pèsent sur elles, qui parlent pour elles. Trouver son soi, trouver sa parole à soi, s’émanciper des autres pour tenter de savoir qui l’on est. Au final, c’est un récit de liberté et de quête de soi assez classique et je m’étonne que l’on y ait pas songé avant pour parler de nous : putes et succubes. Comme  si on faisait trop peur pour qu’on puisse nous aimer comme nous sommes, alors qu'évidemment comme tant d’autres nous avons besoin d’amour.




ET POUR FINIR…




En conclusion, je dirais que faire le récit de ce qu’on vit, de ce qu’on a vécu, ce qu’on vivra peut-être, c’est aller au-delà d’un personnage qui est doué pour draguer. C’est aller au-delà du ridicule d'un “pretty woman” où on attend la venue du joli prince qui va nous sauver. C’est aller au-delà des représentations vulgaires qui nous cantonnent à nos portes-jarretelles et à nos rouges à lèvres. Parler des putains c’est parler de nos fragilités et de nos enthousiasmes, de nos guerres et nos amours, c’est parler de nous aussi en tant qu’être humain et non juste en tant qu’outil commode à créer de la tension narrative. Parce que sous la couette ou dans une fiction, nous méritons mieux que d’être reléguées au rang de simples accessoires.